Risques psychosociaux : la bombe à retardement

trait

Un changement drastique aux lourdes conséquences professionnelles

Suite au confinement et à la crise sanitaire, on entend beaucoup parler de la crise économique qui nous attend. Mais la crise s’étend au-delà : en modifiant la forme de nos relations sociales, elle remet en question notre rôle dans la société et les interactions qui en découlent.

À mon sens, nous devrions nous concentrer davantage sur les risques psycho-sociaux (RPS) tout aussi dévastateurs pour la santé des salariés et des entreprises. Je vous propose d’analyser comment l’expérience, le senti et le ressenti des salariés peuvent nous éclairer sur le sujet. 

D’une part, la crise sanitaire nous a profondément affectés dans notre vie professionnelle. Du quasi jour au lendemain, certains ont vu leur charge de travail considérablement augmenter quand d’autres l’ont vu dégringoler voire s’arrêter ; et parfois au sein de la même entreprise, du même service, générant tensions et rivalités.

Les préjugés existants avant la crise ont tendance à se renforcer : « Pourquoi dois-je faire tous ces efforts alors que les autres en font beaucoup moins ? ». Le fait de moins voir ses collègues à cause du confinement a nourri l’imagination vis-à-vis du travail des autres. L’absence du spectacle du travail des autres a pu ainsi susciter un sentiment de supériorité ou d’infériorité fantasmé.

Quant à ceux dont l’activité a diminué ou cessé, le risque de dépression plane : « Quelle est mon utilité si mon travail est dispensable en tant de crise ? », « Est-ce que je sers à quelque chose ? ». Au-delà de la perte de motivation, ces situations peuvent être lourdes de conséquences au moment de la reprise.

Outre l’intensité, les modalités du travail ont profondément changé et de façon ultra-rapide : mesures barrières, distances à respecter, équipement, télétravail ont dû être adoptés en un temps record – ce qui, en temps normal, ferait sauter au plafond un consultant en conduite du changement. S’il existe des salariés qui se sont bien adaptés à ces changements, d’autres ont eu du mal à les réaliser, générant stress et perte de confiance en soi.

Des conséquences personnelles dont peuvent pâtir les entreprises indirectement

Porosité de la vie pro et perso

D’autre part, la crise sanitaire a bouleversé notre vie personnelle et ces changements se répercutent aussitôt sur la sphère professionnelle. On savait déjà que la porosité entre vie pro et vie perso était de plus en plus forte. Avec la crise du coronavirus, cette porosité a franchi un nouveau cap. 

En première ligne : la gestion des enfants. Les familles ont été confrontées à une situation inédite : pas d’autre choix que de rester chez soi, tous confinés au même endroit, pendant 2 mois, avec des logements parfois trop petits pour assurer de bonnes conditions de travail. « L’école à la maison » est apparue comme un second métier à assurer, déstabilisant pour certains et facteur de stress. Les parents en télétravail ont dû jongler entre des casquettes qui jadis étaient séparées par deux lieux différents provoquant des troubles inéluctables sur la concentration.

Ensuite, l’isolement des personnes seules. Le fait de ne pas pouvoir toucher / communiquer de visu avec les personnes pendant toute la durée du confinement a laissé des marques pour les salariés : irritabilité, sentiment d’exclusion, auto-dévalorisation sont des exemples de conséquences qui peuvent impacter les relations entre collègues par ricochet.

Le climat de peur alimenté par la crise sanitaire pousse à la méfiance. Inconsciemment, nous sommes devenus des menaces les uns pour les autres, ce qui peut détériorer la qualité de vie au travail. 

Détérioration des rapports humains

Avec le confinement, nous avons été contraints à rester chez nous. Les salariés en ont donc profité pour se concentrer sur eux, leur réseau proche et ce qui est essentiel à leurs yeux. Mais en voulant aller à l’essentiel, certains en ont oublié la politesse (posture peu attentive en visio-conférence, parler de façon très directe voire rude). 

La priorisation de « l’utile » a mis de côté des efforts qu’on faisait auparavant avec les autres pour garantir une bonne entente entre collègues. Ces efforts apparaissent à tort superficiels alors qu’ils sont garants de respect et de reconnaissance nécessaires pour le travail. 

Les interfaces numériques ont parfois mis de la distance et ne permettent pas toujours de se voir à l’écran à cause du nombre de connexions simultanées. Aussi certains salariés préfèrent couper la caméra (voire le micro) au moment de la réunion, ce qui occulte les réactions non verbales de son interlocuteur et peut donner l’impression de s’adresser dans le vide.

L’incertitude aux manettes

Depuis le déconfinement, de nouvelles incertitudes sont apparues et continuent à déstabiliser nos habitudes collectives. 

Retour en entreprise : l’importance de l’intelligence collective

Certains salariés sont même plus angoissés à l’idée du déconfinement que du confinement, voyant se multiplier les occasions de transmission du virus. Néanmoins, c’est surtout la question de la confiance qui se pose avec le déconfinement et qui risque de jouer un tour aux entreprises si elles n’anticipent pas les RPS induits. Comment puis-je savoir si les autres ont la même façon de voir les choses que moi dans l’application des mesures sanitaires ? Ce point est une source de tension qui pourrait enrayer la collaboration des équipes. 

En effet, la crise sanitaire impose de redéfinir tout : l’espace, les relations, l’emploi du temps, etc.

Bien que les entreprises mettent en place des aménagements, il reste toujours une zone de flou, à l’appréciation de chacun. Si nous sommes deux salariés debout, comment savoir que je respecte bien (partout, tout le temps) les distances barrières avec mes collègues ? Et si nous ne sommes pas d’accord, allons-nous à chaque fois sortir le mètre pour mesurer et trancher ? Impossible. C’est à l’appréciation de chacun et de tous en même temps. Dépasser ces contraintes est un vrai challenge pour les entreprises mais aussi l’occasion de travailler et développer l’intelligence collective. Les salariés doivent être incités à trouver des terrains d’entente sur l’application des règles et raisonner en terme collectif plutôt qu’individuel pour optimiser le fonctionnement du travail.  

Valoriser l’écoute et se réinventer

Il faut inventer un nouveau langage relationnel, adopter de nouveaux codes, considérés par beaucoup comme « plus froids » : plus aucun contact physique, salutations à distance, méfiance quand un collègue a touché une souris, une table, une poignée ou un stylo. La situation appelle à une hypervigilance qui peut être ressenti comme un « flicage » qui sape la confiance.

Certains salariés se sentent perdus parce qu’ils ont perdu leurs repères sur des actions élémentaires. Ils doivent réinventer la façon de les réaliser en prenant en compte les règles sanitaires : se dire bonjour, marcher au bureau, prendre l’ascenseur, aller à la cantine. Le fait de ne pas savoir est source d’angoisse et de peur.

Une autre question traumatisante pour les équipes est celle de la « dénonciation ». Quand on voit son collègue ou son supérieur ne pas respecter les distances ou les règles régulièrement et les minimiser comment faire ? Comment avertir ? Quelles preuves peut-on fournir ?

Il s’agit d’une situation qu’on retrouve dans les mécanismes de la loi du silence (« Si j’en parle à ma direction, je serais considéré comme le « relou de service », je vais détériorer la relation avec mon collègue et mes collègues n’auront plus confiance en moi…).

Il est indispensable aujourd’hui de mettre en place des dispositifs d’écoute et d’accompagnement qui luttent contre cette logique et incitent les salariés à s’exprimer quand il y a un risque.

La crise sanitaire risque ainsi d’accroître le malaise et les RPS pour les équipes fragiles où la méfiance règne. Au contraire, ceux qui auront su se saisir du moment pour renforcer l’empathie et la compréhension mutuelle en sortiront grandis.

Et vous, que pensez-vous des RPS induits par la crise et la façon de les résoudre ?