Et si les mesures sanitaires devenaient nos nouveaux partenaires de jeux ?

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Qui a dit que les mesures sanitaires devaient être seulement des contraintes ? Je crois qu’il est possible de changer de regard sur ces mesures, aujourd’hui indispensables dans la lutte contre la COVID-19.  

Se défaire du sentiment d’obligation

Le caractère obligatoire des mesures sanitaires nous perturbe : puisqu’elles nous sont imposées, nous ressentons l’étrange impression qu’elles vont être lourdes, pénibles et compliquées. Cette sensation donne aux mesures sanitaires une connotation négative. Elle rappelle les temps de l’enfance où nous devions suivre les protocoles d’hygiène « pour notre bien ». 

Je m’arrête un instant sur une contradiction fondamentale : « pour notre bien », qui, malgré ses bonnes intentions, ne fonctionne pas efficacement comme méthode de conviction. Pourquoi nous sentons-nous éloignés d’une intention si louable ? Notamment parce que les êtres humains réagissent beaucoup plus volontiers à court terme qu’à long terme. Un bonheur hypothétique accessible à long terme, si tout le monde respecte les règles, peine à résister face au désir immédiat d’enlever son masque par temps de chaleur.  

Jouer sur le cadrage

Notre trajectoire peut être vue comme un chemin sur lequel nous rencontrons un ou plusieurs obstacles. Nous pensons que nous n’avons qu’un seul choix pour avancer : contourner l’obstacle, « faire avec ». Or, il est possible de se servir de l’obstacle comme d’un tremplin qui nous guiderait vers un chemin moins linéaire et plus créatif.

Il faut alors changer le « cadrage ». Changer cette perception rébarbative que nous avons des mesures sécuritaires en une vision qui attire notre attention. 

L’effet de « cadrage », selon les théories de psychologie sociale, est un biais cognitif qui montre à quel point nos comportements et nos décisions dépendent de la façon dont les consignes sont formulées (le cadre). L’effet de cadrage a été analysé pour optimiser les campagnes de prévention1 (sensibilisation sur la sécurité routière par exemple) et montre que notre cerveau réagit plus fortement quand : 

  • On met en avant le danger plutôt que l’utilité : « XX% des personnes qui sont décédées de la Covid n’ont pas porté de masque » est plus efficace que « XX personnes sauvées chaque jour grâce au port du masque »)
  • On accompagne le message d’une image. En effet, un texte seul attire beaucoup moins l’attention que s’il est accompagné d’une image. Cette image peut être fixe mais elle peut aussi bouger (c’est le cas de la vidéo) et même bouger à côté de nous sans l’intermédiaire d’un écran (c’est le cas du théâtre)

Pour rendre le respect des mesures sanitaires plus stimulant, une des techniques est de repenser le cadre de transmission du message. Sortir de cette logique purement informative réglementaire peut faire naitre de nouvelles idées créatives qui dépassent la contrainte en se l’appropriant. 

Faire jaillir la créativité

Des initiatives ont essaimé pendant cette période pour rendre les mesures sanitaires plus créatives. Par exemple, le Tissu Solidaire propose aux individus et aux entreprises des masques au design original tout en soutenant la réinsertion. Le masque devient alors aussi un objet personnel renforçant son identité et son style mais également porteur de valeurs (par exemple la valeur d’engagement social).  

Parmi les initiatives originales, le théâtre est un excellent outil de créativité puisqu’il permet de jouer sur les deux tableaux que nous avons identifiés précédemment  :

  • Le danger plutôt que l’utilité
  • L’image plutôt que le texte

Sensibiliser au danger grâce au théâtre

Pour sensibiliser efficacement aux mesures sanitaires, on peut représenter le danger sur scène. Depuis l’Antiquité, le théâtre permet de purger les passions des spectateurs. En représentant des actions sur scène, les spectateurs ont l’impression de les vivre. C’est ce qu’on appelle la catharsis. L’effet cathartique du théâtre permet donc d’expérimenter des conséquences tragiques sans à avoir à les vivre « pour de vrai ».   

Appliqué à la crise sanitaire, des saynètes peuvent mettre en scène le non-respect des mesures sanitaires et les effets désastreux que cela engendre pour l’individu et ses collègues. Des effets dont il n’aurait pas réfléchi auparavant et qui seront d’autant plus forts qu’ils seront restitués sous la forme d’images fortes vivantes devant ses yeux. 

Le théâtre comme pédagogie mimétique : montrer plutôt que expliquer

Nous l’avons dit précédemment, l’explication est laborieuse et nous renvoie inconsciemment à notre passé d’enfant jalonné de multiples règles à respecter. Pour s’en défaire, il faut capitaliser sur la puissance de l’image vivante.  

Le théâtre permet une distanciation impossible dans la vie de tous les jours : les acteurs jouent des personnages qui ne sont pas nous et qui pourtant nous ressemblent étrangement. En étant témoin de comportements familiers mais qui ne lui sont pas directement imputables, le spectateur peut rire de l’absurdité de certaines situations dans lesquelles il se reconnaît. Par le truchement d’une confrontation distanciée (c’est l’acteur qui s’engage), le spectateur est invité à une réflexion plus poussée que la simple lecture de consignes de sécurité. Il lui offre un nouveau cadre qui lui permet de se remettre en question de façon subtile.

Enfin, le théâtre est à considérer comme une source de créativité positive en regardant avec humour la contrainte : garder une certaine distance physique permet de se faire de grands gestes et ainsi de communiquer davantage avec les mains, mettre du gel hydroalcoolique peut être une façon moderne de se masser les mains, se dire bonjour à distance peut devenir un moyen de réinventer de nouveaux « checks » à distance pour se saluer de façon originale.  

Montrer, via la représentation théâtrale, un individu qui s’émancipe de la contrainte est plus efficace que de dire simplement « c’est possible ». 

Plus qu’une contrainte, mettre un masque peut être une occasion de se prendre pour un héros masqué, et peut-être à force d’y croire, d’en devenir un pour de vrai.